Dans de nombreuses sociétés africaines, le placement des jeunes filles dans d’autres foyers est une pratique ancienne, perçue comme une solution à la pauvreté, à l’analphabétisme ou au manque d’opportunités. Présentée comme un geste de solidarité familiale ou communautaire, cette tradition cache pourtant une face sombre : l’exposition massive de ces enfants à des abus sexuels commis par ceux-là mêmes qui devraient les protéger. Dans le silence des maisons, loin des regards, des milliers de filles placées deviennent chaque année les victimes de chefs de famille qui profitent de leur vulnérabilité et de l’absence de protection juridique réelle. Violées, menacées, elles tombent parfois enceintes ou renvoyées sans explication. Elles subissent une violence normalisée, enveloppée dans une culture où la honte pèse plus lourd que la justice.
Malgré elles, les familles biologiques se taisent par peur de perdre un soutien financier venant du tuteur. Souvent les patronnes, elles-mêmes dominées par des rapports de pouvoir patriarcaux choisissent souvent d’intimider l’enfant placé pour ne pas ternir l’image de leurs maris. Ces jeunes victimes restent sans voix. L’impunité devient la règle, la violence une routine invisible. Cet article s’intéresse à cette réalité dont on parle très peu dans les types de violence basée sur le genre mais très répandue dans nos sociétés. L’objectif principal est de comprendre comment les filles placées sont transformées en proies silencieuses dans des foyers supposés les accueillir. Ma recherche examine les mécanismes sociaux qui entretiennent ces abus sexuels, les conséquences dramatiques pour les victimes et les défaillances des systèmes de protection censés les défendre.
Une jeune fille placée : l’histoire de Bernice qui révèle le drame caché
Une histoire qui s’est produite dans mon quartier à Abomey-Calavi, il s’agit d’une jeune étudiante Bernice qui voulait changer la vie de sa famille. Un jour mon ame Bernice a décidé de me confier sa triste aventure. Elle n’avait que 17 ans, suite à l’obtention de son baccalauréat lorsque sa mère l’a confiée à une de ses sœurs qui est intellectuelle de la ville proche de son Université. La veille de son départ, sa mère a passé toute la nuit à la conseiller et lui répétait ceci « Ma fille, je voudrais une vie meilleure pour toi, tu seras dans un cadre confortable et en sécurité chez ta tante». Dans les pensées de ses géniteurs, la patronne est médecin donc elle connaît la valeur d’un enfant. Dans l’esprit de la fillette, vivre dans une telle famille va soulager ses parents des dépenses du loyer chaque mois. Sa mère était loin d’imaginer que ce serait justement les absences de la tante qui deviendraient la porte ouverte au cauchemar pour sa fille. Chaque matin, la tante partait au boulot. Elle travaillait aux urgences souvent sous pression et donc surveillait difficilement tout ce qui se passait à la maison. Elle quittait la maison avant 7h et revenait rarement avant la tombée du jour. Pour elle, Bernice était en de bonnes mains.
Après tout, la maison était confortable, le mari de la tante avait l’air sérieux, étant également un grand cadre donc responsable. La tante n’imaginait rien d’autre. Etant donné que l’homme connaissait son emploi du temps et plus encore, les jours de mission médicale dans les villages où elle pouvait rester deux ou trois nuits loin de la maison. C’est cette connaissance parfaite des horaires de sa femme qui lui donnait le libre arbitre. La première agression a eu lieu un beau matin. Dès que le bruit de la porte d’entrée s’est dissipé et que la voiture a quitté la cour, Bernice a senti une tension inhabituelle dans la maison. L’homme l’a appelée doucement, trop doucement. Elle a compris trop tard qu’elle ne pouvait compter sur personne. Il lui restait des heures avant que la femme revienne sauver d’autres vies, sans imaginer qu’elle en laissait une en danger chez elle. “Le pire, ce sont les missions” disait-elle. Lorsque la patronne partait soigner des populations éloignées, la maison devenait un piège hermétique.
Elle m’avouait que le père de famille pouvait entrer dans sa chambre à n’importe quel moment. “Comme c’est le plus âgé de la maison, il venait chaque soir par surprise dans ma chambre faire comme s’il venait vérifier si je me suis déjà couchée et si j’ai bien fermé les portes” disait Bernice les larmes aux yeux. Cette histoire n’est pas la première que j’entend dans ma vie, ce n’est donc pas un cas isolé. C’est l’histoire silencieuse de milliers de jeunes filles placées, laissées seules chaque jour dans des maisons où la titutrice est convaincue que tout va bien.
Les abus sexuels et le silence imposé
Les abus sexuels que subissent les jeunes filles placées s’installent dans un climat de peur entretenu par le chef de famille qui ne fait que les intimider et les menacer de les renvoyer pour bien abuser d’elle. Dans le cas de Bernice, comme pour tant d’autres, leurs tuteurs utilisent des menaces directes pour les réduire au silence : si elle parlait, elle serait immédiatement renvoyée aux villages et être détestée par leurs tutrices en replongeant sa famille dans la précarité. Cette menace qui sème la honte et la peur de ne pas être crue dans l’esprit de ces jeunes filles enferme les victimes dans un mutisme forcé. Ne pouvant pas compter sur leur famille biologique, souvent dépendante des cadeaux comme geste de reconnaissance du foyer d’accueil, ni sur une communauté qui préfère protéger l’honneur des adultes, ces jeunes filles se retrouvent seules face à leur douleur. La plupart du temps, les plus courageuses finissent par dévoiler cet acte dont elles sont victimes et sont renvoyées et rejetées par la tutrice. Dans le but de sensibiliser contre ce type de violence sexuelle, ma recherche menée en lisant les rapport de l’OMS m’a revélé qu’en 2018, 20% des femmes Africaines ont subi de violences sexuelles de partenaires intimes.


https://data.who.int/fr/indicators/i/BEDE3DB/F8524F2
Les conséquences de ses actes sur la vie de cette jeune fille
Pour le cas de ces jeunes filles qui subissent des conditions pareilles avec leurs tuteurs, cette situation laisse beaucoup de séquelles durant toutes leurs vies. Pour le cas de celles qui ont été placées vierges chez ses tuteurs vicieux, elles finissent par être déviergée par leurs soi-disant tuteurs. L’autre conséquence plus pire, elles tombent enceinte de leur tuteur, des grossesses qu’ils forcent les jeunes filles naïves a immédiatement fait interrompre dans le secret le plus total sous la menace et la culpabilisation. Chaque avortement clandestin laissent ces jeunes femmes non seulement des douleurs physiques mais aussi une dépression morale qu’elle portait seule sans soutien et pire sans possibilité de dénoncer. Elles restent toutes leurs vies avec un secret indescriptible de peur d’être mal jugées par leurs proches et de se faire salire. Ces traumatismes brisent une partie de leur innocence et marquent durablement leurs parcours. D’autres arrivent à se venger silencieusement et d’autres arrivent à se confier finalement des années plus tard après leurs vécues.
Ensemble, sensibilisons pour protéger les filles placées sans défense
Face à ces histoires trop souvent tristes, il est nécessaire de sensibiliser et de protéger les filles placées qui restent parmi les enfants les plus vulnérables et les moins entendues. Elles doivent savoir qu’elles ne sont pas seules, que leurs voix comptent. Nous devrons leur montrer qu’aucune n’est normalisée dans leurs droits. Les familles, les communautés, les écoles et les institutions doivent assumer leurs rôles: écouter, prévenir, surveiller et intervenir. Les mamans ont également la responsabilité de s’entretenir régulièrement en privé avec leurs filles placées, de leur poser les bonnes questions et de vérifier que tout se passe bien avec leurs tuteurs sur le plan moral, physique et émotionnel. De même, les tutrices ou femmes des foyers d’accueil doivent rester attentives et dialoguer souvent avec ces jeunes filles, afin de détecter tout malaise ou changement de comportement. Chaque fille placée mérite un environnement sûr et digne. Mettre en lumière ces situations permettra de briser le silence et d’encourager le pouvoir de s’exprimer et de dénoncer tout acte mauvais. Chaque action de nos institutions, de nous-mêmes et de notre communauté est un acte essentiel pour empêcher que d’autres Bernice vivent le même cauchemar. Leur protection ne doit pas rester un choix : elle doit devenir une priorité collective.
Rédaction : Carine MINABA, Data Scientist et Biostatisticien
Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth, financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD)


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