
« Je préfère ne plus parler sur les réseaux. Chaque mot devient une cible. » Cette phrase, prononcée par une jeune journaliste malienne, résume un sentiment partagé par de nombreuses femmes africaines. La désinformation sexiste et les violences numériques ne se limitent pas à des attaques ponctuelles — elles installent une peur silencieuse. Une peur qui pousse les femmes à s’autocensurer, à éviter les débats publics, et parfois à quitter complètement la sphère numérique.
Quand la peur devient une stratégie de survie
Selon une étude mondiale menée par l’UNESCO et le Centre international pour les journalistes (ICFJ), 73 % des femmes journalistes déclarent avoir été victimes de violences en ligne, et 20 % ont reçu des menaces physiques ou sexuelles en lien avec leur activité professionnelle. Cette étude montre aussi que près de 30 % des journalistes concernées ont envisagé de quitter le métier à cause de ces attaques répétées. Ces chiffres révèlent une stratégie de survie silencieuse : pour se protéger, beaucoup de femmes choisissent de se taire.
L’impact psychologique : peur, honte et isolement
Les violences numériques ne s’arrêtent pas à l’écran. Elles provoquent des effets psychologiques profonds : anxiété constante, hypervigilance numérique, honte, perte de confiance professionnelle et isolement social. Une étude de l’UNESCO et de l’ICFJ montre que plus de 25 % des femmes journalistes victimes ont ressenti un impact durable sur leur santé mentale. Certaines ont arrêté de publier, d’autres ont quitté les réseaux ou se sont censurées dans leurs sujets. « J’ai arrêté d’écrire sur la politique locale. Chaque post devenait un prétexte à m’insulter. J’ai préféré le silence. » Journaliste, Bamako.
Le cas du Mali : un espace numérique en tension
Le Mali compte 6,2 millions d’utilisateurs d’Internet en 2024 (DataReportal, 2024). Les réseaux sociaux y sont devenus des espaces de débats, mais aussi de violences verbales. Des organisations comme WILDAF-Mali et AMSOPT signalent régulièrement la montée des attaques sexistes en ligne contre les femmes journalistes et militantes, même si les chiffres précis manquent faute de suivi systématique. Des cas récents ont montré comment la désinformation ciblée — rumeurs, photomontages, fausses citations — sert à discréditer les femmes qui prennent la parole.
Une menace pour la démocratie
La désinformation sexiste ne nuit pas seulement aux victimes : elle affaiblit la liberté d’expression et réduit la diversité des voix dans l’espace public. Selon Reporters Sans Frontières (2023), les campagnes de harcèlement numérique constituent désormais un frein majeur à la participation des femmes dans les médias et au débat démocratique. Quand les femmes se retirent du débat public, la démocratie perd une partie de sa voix critique.
Riposter par la solidarité et la vérité
La riposte passe par l’action collective : former les rédactions à la sécurité numérique et au traitement éthique des attaques en ligne, soutenir publiquement les femmes victimes de campagnes de désinformation, créer des réseaux d’entraide entre journalistes (comme WanaData Mali), et encourager la législation contre la diffamation numérique à caractère sexiste. « Le silence protège parfois, mais il entretient la peur. En parler, c’est déjà résister. » Militante, Bamako.
La peur de la désinformation ne doit pas devenir une loi du silence. Chaque femme qui s’autocensure est une voix en moins pour la vérité et la démocratie. Face à la haine, à la rumeur et à la manipulation, il faut construire des espaces numériques plus sûrs, où la liberté d’expression des femmes soit protégée et valorisée.
Sources
• UNESCO & ICFJ — The Chilling: Global Study on Online Violence Against Women Journalists (2022) https://www.icfj.org/sites/default/files/2022-11/ICFJ_UNESCO_The%20Chilling_2022_0.pdf?utm_source=chatgpt.com
• Reporters Sans Frontières — Classement mondial de la liberté de la presse (2023) https://rsf.org/en
• DataReportal — Digital 2024: Mali Overview https://datareportal.com/reports/digital-2024-mali?utm_source=chatgpt.com
• WILDAF-Mali & AMSOPT — Communiqués sur les violences numériques (2023–2024)
Rédaction: Anta Maïga
Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth, financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD).

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