Mali: améliorer la mobilité pour une émancipation des femmes

La mobilité est un pilier fondamental du développement au Mali, affectant directement l’accès à l’éducation, aux soins de santé et aux opportunités économiques pour tous. Pourtant, cette mobilité n’est pas neutre en termes de genre. Les femmes maliennes, en particulier, rencontrent des défis uniques qui entravent leur autonomie et leur pleine participation à la vie sociale et économique. Des trajets souvent complexes et laborieux aux préoccupations de sécurité, en passant par les dynamiques migratoires pour la survie, ces réalités soulignent une inégalité profonde. Alors, comment les politiques publiques au Mali s’attaquent-elles à ces disparités et quelles avancées pouvons-nous espérer ?

Au Mali, la mobilité se conjugue au feminin

Au Mali, comme dans de nombreux pays africains, les habitudes de déplacement des femmes sont distinctes et souvent plus contraignantes.

Trajets de subsistance et chaînes de déplacement

Les femmes effectuent majoritairement des déplacements liés aux tâches domestiques essentielles, comme la corvée d’eau, la recherche de bois de chauffe ou les allers-retours au marché, souvent avec des charges lourdes. En milieu urbain, elles gèrent également des « chaînes de trajets » complexes, combinant travail, école des enfants et courses. Ces déplacements sont fréquemment réalisés à pied ou via des transports informels.

Des études du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) sur les conditions de vie des femmes en Afrique de l’Ouest offrent un aperçu. Cherchez par exemple des publications comme le Rapport sur le développement humain qui abordent les inégalités de genre. Il aborde plusieurs sujets mettant en exergue ces inégalités.

Le sentiment d’insécurité est une préoccupation majeure pour les femmes maliennes utilisant les transports publics informels (comme les  » Sotramas » ou se déplaçant sur des routes rurales isolées ou peu sécurisées en lien avec la situation sécuritaire du pays).

Le harcèlement sexuel est malheureusement une réalité qui restreint la liberté de mouvement et l’accès aux opportunités.

Bamako – Marché des légumes / Fatouma Harber

Accès limité aux véhicules motorisés

L’accès à la propriété de véhicules motorisés (motos, voitures) est souvent plus limité pour les femmes, les rendant dépendantes de solutions de transport moins fiables, plus coûteuses ou plus exigeantes physiquement.

Mobilités interurbaines et transfrontalières : L’exode des jeunes filles

Un aspect crucial de la mobilité féminine au Mali concerne les mouvements de jeunes filles des zones rurales vers les centres urbains ou même vers d’autres pays. Poussées par la pauvreté et la recherche d’opportunités, nombre d’entre elles migrent vers des villes comme Bamako pour devenir des « bonnes à tout faire » ou se lancer dans le petit commerce, souvent pour un salaire modique, n’atteignant parfois que 10 000 à 20 000 FCFA par mois. Mais nous sommes confrontés à une insuffisance de données statistiques sur cette forme de migration interne qui est constatée.

Plus récemment, une tendance inquiétante est observée : ces jeunes filles, face à la faiblesse des rémunérations locales, se tournent vers des capitales étrangères comme Nouakchott (Mauritanie) et Abidjan (Côte d’Ivoire). Dans ces pays, les salaires peuvent atteindre 60 000 FCFA, offrant une perspective économique bien plus attrayante, malgré les risques inhérents à ces voyages et à l’isolement dans un nouveau pays. Cette mobilité transfrontalière expose souvent ces jeunes filles à des vulnérabilités accrues, notamment la traite, l’exploitation et l’absence de protection sociale. Dans tous ces pays, des organisations internationales comme OIM ou encore des ONG locales comme l’ Association des femmes cheffes de famille en Mauritanie, apportent des soutiens à ces migrantes qui sont autonomisées ou reconduites dans leurs pays d’origine. c’est selon leur choix.

Des initiatives pour des politiques migratoires inclusives au genre

Malgré ces défis, des efforts sont progressivement déployés pour améliorer la situation de la mobilité genrée au Mali.

Développement des infrastructures rurales : Les projets de construction et de réhabilitation de routes et pistes rurales peuvent désenclaver des villages, améliorant ainsi l’accès des femmes aux marchés locaux pour vendre leurs produits, à l’eau, aux centres de santé pour les accouchements et les soins, et aux écoles pour leurs enfants, pouvant ainsi réduire la pression migratoire pour certaines.

Structuration des transports urbains : Dans des villes comme Bamako, des initiatives visent à améliorer la qualité et la sécurité des transports publics, qu’ils soient formels ou informels. Cela peut inclure la mise en place de nouvelles lignes de bus, la formation des chauffeurs ou des efforts pour réguler les services de taxis..

Sensibilisation et protection : Des ONG et associations locales maliennes jouent un rôle crucial en menant des campagnes de sensibilisation contre le harcèlement et en promouvant des pratiques plus sûres dans les transports et l’espace public. Certaines initiatives peuvent inclure des « zones sûres » ou des numéros d’urgence.

Recommandations pour aller plus loin vers une mobilité égalitaire au Mali

Pour une mobilité véritablement équitable et inclusive au Mali, des actions ciblées sont nécessaires :

  • Collecte de données genrées et analyses fines : Il est impératif de mener des enquêtes approfondies et régulières sur les besoins et comportements de mobilité des femmes maliennes, en distinguant les contextes ruraux et urbains, et en incluant les motivations et destinations des migrations internes et externes.
  • Participation active des femmes : Les femmes doivent être directement impliquées dans la conception, la planification et la mise en œuvre des projets de transport, depuis les comités villageois jusqu’aux instances de décision nationales. Leurs expériences et leurs savoirs sont indispensables.
  • Sécurité renforcée et visible : Des investissements dans l’éclairage public, la présence policière visible et des dispositifs de signalement faciles d’accès sont cruciaux pour accroître le sentiment de sécurité des femmes dans tous les espaces de mobilité.
  • Solutions de transport adaptées : Soutenir le développement de services de transport abordables, fiables et flexibles qui répondent aux réalités des trajets féminins, comme des programmes de vélos adaptés, des services de transport à la demande en zones reculées ou l’amélioration des transports en commun pour les « trajets chaînes ».
  • Politiques de développement rural et opportunités locales : Pour atténuer la pression migratoire, il est essentiel de créer des opportunités économiques viables pour les jeunes filles dans leurs localités d’origine, via des formations professionnelles et un accès au microcrédit, par exemple.
  • Protection des migrantes : Des cadres légaux et des dispositifs de protection doivent être renforcés pour les jeunes filles qui migrent, notamment en collaboration avec les pays de destination (Mauritanie, Côte d’Ivoire) pour prévenir la traite et l’exploitation.

Au Mali, l’amélioration de la mobilité genrée n’est pas seulement une question de justice sociale ; c’est un puissant levier de développement. En investissant dans des politiques de transport inclusives et sensibles au genre, et en adressant les causes profondes des mobilités de vulnérabilité, le Mali peut non seulement améliorer le quotidien de ses citoyennes, mais aussi libérer un potentiel économique et social considérable. C’est en allant au-delà des infrastructures pour toucher les pratiques, les mentalités et les politiques migratoires que la mobilité deviendra un véritable vecteur d’émancipation pour toutes les Maliennes.

Rédigé par : Fatouma Harber

Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth , financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD).

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