En Afrique surtout dans les zones reculées, on murmure encore que « la boule au sein » serait le signe d’une montée de lait, d’un choc ou même d’un mauvais sort. Beaucoup de femmes n’en parlent pas, par pudeur ou par peur du mauvais jugement mythique. Certaines se contentent de masser avec du beurre de karité ou de réciter des prières ou encore des incantations, en espérant que la douleur disparaîtra. Elles ne se taisent pas parce qu’elles ne savent pas. Elles se taisent parce qu’on ne leur a jamais vraiment expliqué le vrai sens de cette maladie.
Chaque année, des milliers de femmes découvrent leur cancer du sein à un stade avancé dans les hôpitaux. Le plus tragique, ce n’est pas seulement la découverte de la maladie, c’est ce qui suit cette triste découverte : le silence, les rumeurs, les fausses croyances et cette information essentielle qui n’arrive jamais jusqu’à elles( la cause de cette maladie). Dans de nombreuses communautés, l’absence d’information devient une forme de violence invisible mais bien réelle qui prive les femmes de leur droit de comprendre, de se protéger, d’agir et surtout de garder leur paix intérieure.
Comprendre le cancer du sein
Le cancer du sein est une maladie qui apparaît lorsque certaines cellules des tissus mammaires comme celles des canaux ou des lobules, se mettent à se multiplier de manière anormale et incontrôlée. Normalement, les cellules se renouvellent selon un rythme précis, mais lorsqu’une mutation génétique survient, ce mécanisme se dérègle: les cellules continuent de croître au lieu de mourir. Peu à peu, elles s’accumulent et forment une masse compacte, communément appelée « boule”, qui peut être ressentie à la palpation du sein. Cette boule est généralement dure ou indolore au début. Elle s’accompagne parfois de changements dans la forme du sein, d’un écoulement au niveau du mamelon ou d’une modification de la peau.
Les causes du cancer du sein sont multiples. Certaines sont génétiques, d’autres sont hormonales, alimentaires, environnementales ou liées au mode de vie. L’âge, le surpoids, l’alcool, le tabac, la sédentarité et une exposition prolongée aux hormones féminines peuvent aussi augmenter le risque. C’est donc une maladie complexe, mais largement guérissable lorsqu’elle est détectée tôt d’où l’importance de la sensibilisation et du dépistage régulier surtout en Afrique où le diagnostic est encore trop souvent tardif.

Image d’illustration/ Cancer de sein
Pourquoi j’ai voulu écrire sur le sujet
En tant que biostatisticienne passionnée par les données et la santé publique, j’ai longtemps observé à quel point le cancer du sein reste entouré de silence dans de nombreuses communautés africaines. Souvent, les femmes ne disposent pas d’informations fiables, ou n’osent pas consulter, par peur du regard de la communauté, du coût des soins ou simplement par manque de sensibilisation.
J’ai voulu écrire sur ce sujet parce que je crois que la donnée et la communication peuvent sauver des vies. Dans mon parcours de biostatisticienne et de journaliste de données, j’ai compris qu’un chiffre n’a de sens que s’il aide à changer les comportements, à éveiller les consciences des femmes non scolarisées surtout, à briser les tabous. J’ai donc ressenti le besoin d’utiliser ma plume et ma voix pour sensibiliser. Je voudrais que toutes les femmes comprennent que le cancer du sein n’est pas une fatalité, qu’il existe des solutions, des traitements, des gestes simples pour se protéger. Mais surtout, pour rappeler que chaque femme africaine mérite l’accès à l’information, à la prévention et aux soins, peu importe son lieu de vie ou sa condition. Porter ce message à travers mon article, c’est ma façon de contribuer à un combat collectif. Puisque pour moi, parler du cancer du sein, c’est déjà commencer à le vaincre.
Quand le silence devient une arme
Selon les estimations de l’OMS, plus de 60% des cas de cancer du sein en Afrique subsaharienne sont diagnostiqués à un stade tardif, souvent parce que les patientes arrivent trop tard à l’hôpital. Pas parce qu’elles refusent les soins. Mais parce qu’elles n’ont pas été informées à temps ou parce qu’elles pensent que ce n’est qu’une boule qui partira d’elle même. Malgré que nous remarquons souvent dans les transports communs, sur la route du marché, sur les groupes Whatsapp et les rassemblements des femmes, des discussions tournent rarement autour du dépistage du cancer du sein. Les femmes ne parlent que de cuisine, de vie de couple, d’enfants, mais rarement de santé du sein. Et quand le sujet surgit, il est souvent étouffé par des phrases comme « Dieu voit tout », « c’est pour celles qui ont de gros seins». Ainsi, la désinformation et l’ignorance s’installent doucement, comme une violence qui ne dit pas son nom.
Ce qu’elles entendent… au lieu de ce qu’elles devraient savoir
Dans beaucoup d’agglomérations, les rumeurs remplacent les médecins et les croyances circulent plus vite que les vraies informations de santé. Après avoir questionné quelques dames de notre communauté en étant muni d’un questionnaire, pour la majorité :
– « Si on touche trop le sein, on réveille le cancer. »
– « Le cancer, c’est pour les femmes blanches »
– « Si on t’enlève le sein, ton mari va te quitter. »
– « Faire une mammographie abîme le corps, mieux vaut prier. »
– « C’est de la sorcellerie, il faut consulter le guérisseur traditionnel, pas l’hôpital. »
Ces phrases ne sont pas de simples idées reçues. Elles sont une barrière, une frontière invisible qui sépare les femmes de la possibilité d’être sauvées par une opération ou un survi des spécialistes. Pendant ce temps, la maladie avance et deviens de plus en plus grave. Pour Maman Noé, 37 ans : « On m’a dit que si on coupait mon sein, je ne serais plus une vraie femme »
Témoignages
Maman Noé vend des légumes sur un petit marché de quartier. « Au début, c’était juste une petite boule, je pensais que c’était à cause de l’allaitement. Une voisine m’a dit de mettre du sel chaud. Une autre m’a conseillé l’eau bénite. Je n’ai pas osé d’aller à l’hôpital. On m’a dit qu’ils allaient me couper le sein et qu’un mari ne reste jamais avec une femme incomplète. »
Quand elle finit par consulter, deux ans plus tard, le diagnostic tomba : cancer du sein métastatique.
Le médecin lui disait simplement : « Si vous étiez venue plus tôt, on aurait pu opérer. » Ce n’est pas la maladie qui a eu de l’avance. C’est l’information qui est arrivée trop tard. Cette dame aurait dû se faire opérer si elle avait sû tôt que mieux vaut aller à l’hôpital rapidement que de se faire des idées endogènes.
Qui sensibilise les femmes ?
Les campagnes de sensibilisation existent. On voit des affiches en octobre, on distribue quelques flyers roses, on organise des marches symboliques…Mais dans les villages, dans les maisons, dans les salons de tresses… qui parle vraiment du dépistage ? Personne…
Les réseaux sociaux, souvent accusés de désinformer sont parfois la première source d’information mais aussi la plus dangereuse. Entre astuces miracles, recettes maison et fausses promesses de guérison naturelle, les femmes naviguent sans boussole, cherchant la vérité entre deux publications sponsorisées. Pendant ce temps, les institutions de santé parlent un langage trop technique, inaccessible à beaucoup. Résultat : l’information existe, mais elle ne touche pas celles qui en ont le plus besoin.

Informer une femme, ce n’est pas seulement lui apprendre un terme médical : c’est lui redonner du pouvoir sur sa santé, sa dignité et son espoir de vivre. Le pouvoir de connaître son corps, de poser des questions sans crainte, de consulter sans honte, d’insister face à un soignant qui minimise sa douleur, de dire avec assurance : « c’est mon droit de savoir ». Mais informer ne doit pas se limiter aux réseaux sociaux ni aux conférences en ville. En Afrique, des milliers de femmes vivent dans des villages où l’accès à l’information reste un luxe, où le mot “cancer” ne résonne que comme une fatalité ou un mauvais sort. Ces femmes ne liront peut-être jamais une publication Facebook mais elles méritent, elles aussi, d’être entendues et protégées. C’est pourquoi j’en appelle aux autorités, aux ministères de la santé, aux médias publics et aux organisations locales : il est temps d’aller vers elles, dans les campagnes, sur les marchés, dans les maternités rurales, là où la parole scientifique ne parvient pas encore. Car la vraie violence n’est pas seulement la maladie. La vraie violence, c’est de laisser les femmes dans le silence et l’ignorance alors que l’information peut sauver des vies.
Rédaction: Sêgnimaké Tatiana Carine MINABA
Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth , financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD).


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