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Fake news et haine en ligne : le Mali à l’épreuve de la désintégration sociale

Au cœur de la crise malienne, un nouveau front silencieux se déploie : la désinformation et les discours haineux, amplifiés par les réseaux sociaux, déchirent le tissu social du pays. Entre rumeurs toxiques, stigmatisation ethnique et manipulation numérique, le vivre-ensemble vacille.

La désinformation, une arme de guerre cognitive

Au Mali, la « fake news » n’est plus un simple phénomène médiatique : c’est une arme stratégique. Diffusée intentionnellement pour manipuler les opinions, semer la peur ou justifier la violence, elle prospère dans un écosystème numérique mal régulé et une population souvent mal outillée pour la décrypter.

Selon l’enquête d’opinion de Mali-Mètre, publiée en mai 2025, la radio et la télévision constituent les principaux canaux d’informations des Maliens, respectivement utilisées par 30,8% et 22,0%. Quant aux réseaux sociaux, 11,3% des Maliens s’informent sur l’actualité via Tik Tok, 9,6% via Facebook et 6,4% à travers WhatsApp. Pourtant, seulement 20 % vérifient la véracité des contenus avant de les partager.

Ce fossé entre accès à l’information et capacité critique a été exploité lors de la crise post-coup d’État de 2020, où des rumeurs infondées sur des « interventions étrangères » ou des « complots internationaux » ont alimenté la défiance et la polarisation.

Les algorithmes des plateformes numériques conçus pour maximiser l’engagement favorisent les contenus émotionnels, souvent faux. Les données récentes révèlent que très peu de Maliens ont reçu une éducation aux médias suffisante pour identifier une information fiable.

Dans un contexte de méfiance croissante envers les médias traditionnels perçus comme partisans ou corrompus les réseaux sociaux deviennent la source dominante… et la plus dangereuse.

« Sans éducation aux médias, sans professionnalisme journalistique, sans modération numérique, nous laissons le champ libre à ceux qui veulent détruire le Mali par le clavier », alerte Abdoulaye Guindo, journaliste et expert en fact-checking.

Quand les mots tuent

Les discours haineux au Mali prennent des formes multiples : stigmatisation ethnique (notamment contre les Peuls), incitation à la violence religieuse, appels à la vengeance communautaire. Anonymes, virales, et souvent impunis, ils trouvent sur les réseaux sociaux un écho démesuré.

Dans un rapport publié en mars 2021, Fernand de Varennes, rapporteur spécial de l’ONU sur les questions de minorités, déplorait que « trop souvent, les discours de haine sont suivis de crimes haineux et de violence ». Toute chose qui pourrait facilement « ouvrir la voie à la déshumanisation et à la stigmatisation des minorités, ainsi qu’à la normalisation de la haine. »

« Les discours de haine ne sont pas anodins. Ils transforment les voisins en ennemis, les communautés en cibles. Ils ont déjà alimenté des massacres au Mali et dans la région », souligne Abdoulaye Guindo.

Comment la fake news nourrit la haine

La désinformation et les discours haineux forment un cercle vicieux. Une fausse information par exemple, accusant une communauté d’être complice de groupes armés devient le prétexte à la stigmatisation, puis à la violence.

Les experts révèlent que plus de 30% des Maliens adhèrent à au moins une théorie complotiste, créant un terreau fertile pour la haine. Le cas des Peuls est emblématique : régulièrement accusés, sans preuve, de collusion avec les groupes jihadistes, ils subissent représailles, discriminations, et violences collectives souvent déclenchées par des contenus mensongers partagés massivement sur WhatsApp ou Facebook.

« La désinformation crée une fausse réalité. Elle transforme des citoyens ordinaires en boucs émissaires. Au Mali, lier terrorisme et ethnie peule n’est pas une erreur — c’est une bombe sociale », dénonce Sikou Bah, fact-checker et cofondateur de la plateforme de vérification des faits, Le Jalon.

Une riposte globale, urgente et collective

Face à cette double menace, des solutions existent mais elles exigent coordination, volonté politique et mobilisation citoyenne.

En mettant en place des mécanismes de modération des contenus haineux et faux, le gouvernement malien doit collaborer avec les géants du numérique (Facebook, WhatsApp, Twitter).

Il est également impératif de sensibiliser les citoyens, en particulier les jeunes, à l’importance de vérifier les informations avant de les partager. Il s’agit aussi de promouvoir le dialogue intercommunautaire pour prévenir les discours de haine. A cette liste s’ajoute également le renforcement des médias traditionnels comme les radios communautaires et les journaux indépendants pour contrer la domination des réseaux sociaux.

« La paix ne se décrète pas. Elle se construit par la confiance et la confiance naît de la vérité partagée », rappelle Monsieur Bah, insistant sur le rôle central de la transparence et de l’éducation dans la reconstruction du lien social.

Agir maintenant ou payer plus tard

Le Mali ne peut plus se permettre d’ignorer cette guerre invisible. Chaque fake news partagée, chaque message haineux liké, chaque silence face à la stigmatisation, est une brique retirée du mur de la cohésion nationale.

La désinformation ne tue pas toujours par balles, mais par divisions, par peurs, par haines accumulées. Et dans un pays déjà fragilisé par les conflits armés, les coups d’État et les tensions intercommunautaires, ce poison numérique pourrait bien être le détonateur de la prochaine crise.

Mais tout n’est pas perdu. Parce que la parole, comme le rappelait Amadou Hampâté Bâ, peut aussi construire. Parce que la jeunesse malienne, hyperconnectée, peut devenir la première ligne de défense contre les mensonges. Parce que les communautés, lorsqu’elles se parlent, se reconnaissent.

Rédigé par: Bakary Fomba

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